La politique d'incentive est déterminante dans le succès d'une politique CS. Bien faite, elle permet d'aligner l'entreprise sur des objectifs et peut être un puissant levier de motivation. Mal faite, elle peut susciter des incompréhensions et favoriser les comportements individuels. Les conseils d'Olivier Innocent, Head of Customer Success chez Pricing HUB, qui a beaucoup travaillé le sujet lors d'expériences passées.
Peux-tu nous résumer rapidement ton parcours ?
Après un passage dans les achats, j’ai démarré dans la relation client chez Amazon en tant que KAM. Suite à un déménagement en Allemagne, j’ai pris la tête de l’équipe CSM chez Trusted Shops (collecte d’avis clients pour les sites e-commerce) pour la France, l’Espagne et les Îles Britanniques. Ma mission était de faire grandir et professionnaliser l’équipe (x3 des effectifs, optimisation des process et outils, définition de l’organisation, mise en place d’un nouveau plan d’incentive, etc). Après 3 ans outre-Rhin j’ai rejoint Pricing HUB, une solution SaaS de pricing dynamique destinée aux retailers et e-commerçants, en tant que Head of CSM. Au sein de cette start-up ultra ambitieuse, j’ai un objectif simple mais, lui aussi, très ambitieux : « offrir à nos clients la meilleure expérience client de l’industrie ». Cela passe évidemment par la construction d’une équipe CSM performante, mais aussi par porter la voix du client auprès de toutes les entités de l’entreprise (Dev, Data Science, Commercial, etc.).
A quels objectifs doit répondre une politique de rémunération variable ?
Je pense que l’erreur classique est de considérer la rémunération variable comme la source de motivation principale pour les employés. Un employé qui ne serait motivé que par son bonus finira par partir le jour où il recevra une meilleure offre.
J’ai toujours vu la part variable comme un excellent moyen pour aiguiller ses coéquipiers quant à la définition et le respect des priorités. Avec le temps, j’ai remarqué que la pertinence du choix des KPI (« est-ce que l’atteinte de cet objectif m’aide à faire mieux mon travail ? ») a un impact immense sur la motivation, même plus important que les sommes en jeu. Lors des entretiens annuels par exemple, la discussion sur la pertinence des critères était toujours plus longue et interactive que celle sur les pourcentages ou les euros.
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Tu es partisan d'objectifs individuels, d'équipe, d'entreprise, ou un mix ?
En tant que CSM, il est impossible de réussir seul, il est totalement dépendant de son environnement (interne et externe).
Si on se concentre sur les dépendance internes à l’entreprise, deux niveaux existent:
- L’équipe et/ou le département CSM
- Les autres fonctions de l’entreprise (Tech, Sales, RH, IT, etc)
Avant de pouvoir compter sur les autres services, chaque membre de l’équipe CSM doit savoir que ses coéquipiers seront là pour assurer ses arrières. Il est important de créer l’émulation et non la concurrence dans l’équipe.
Cela passe évidemment par le recrutement d’individus avec un état d’esprit irréprochable et surtout, par le renforcement de cet état d’esprit au quotidien. La mise en place d’objectifs communs est un outil pour favoriser cet état d’esprit, encourageant l’entraide, la mise en commun des bonnes pratiques, ainsi qu’un meilleur suivi des clients lors de l’absence du CSM attitré.
Ce dernier cas de figure est celui pour lequel j’ai remarqué le plus gros changement de comportement. Suite au recrutement de 3 nouveaux CSM, j’ai dû revoir complètement la répartition des portefeuilles clients. Ce changement prenant place en cours d’année, j’ai proposé de calquer les objectifs individuels sur les objectifs du marché, le temps de finaliser les nouveaux portefeuilles et de les tester. J’ai pris cette décision car j’avais une confiance absolue en l’équipe, qui avait déjà montré sa solidarité lors de la phase, très intense, d’onboarding des nouveaux arrivants.
Le changement dans le suivi des clients lors des congés s’est avéré brutalement positif. Les questions « tel client a des questions sur telle fonctionnalité, j’attends la fin des congés de X ? » ont laissé place à « c’est ok si je fais la démo au client pendant l’absence de X, au pire il/elle finalisera la signature à son retour ». J’ai reproduit le test sur un autre marché et pu observer exactement les mêmes comportements. En discutant avec d’autres managers qui avaient noté eux-aussi des comportements similaires, nous sommes arrivés à la conclusion qu’un objectif collectif, en complément d’un objectif individuel, permettait de favoriser « le dépassement de fonction » au sein de l’équipe.
Comment mets-tu cela en place concrètement ?
On parle souvent (de façon caricaturale) de l’antagonisme entre les objectifs des Sales et ceux des CSM. En ajoutant un objectif de rétention aux objectifs des commerciaux, on réduit le nombre de clients « difficiles » et on améliore la collaboration entre les équipes. La mise en place d’une incitation similaire a permis de réduire de 90% les résiliations au cours des 3 premiers mois de contrat.
Il n’y a pas que les Sales : tous les services ont un impact sur l’expérience client ! Il me semble donc nécessaire de partager un objectif de rétention ou de satisfaction client (NPS, CSAT, etc.) à l’échelle de l’entreprise.
En « échange », les CSM peuvent aussi partager un objectif de conquête commerciale ou de respect de la roadmap technique, etc.
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Sur quels types de critères vas-tu t'appuyer pour mettre en place une politique d'incentive ?
Pour évaluer la performance, on fixe généralement deux types d’objectifs, ceux de moyens (« Lead Measures ») ou ceux de résultats (« Lag Measures »). Par facilité et simplicité, on a tendance à se concentrer sur les Lag Measures telles que rétention, l’expansion, la LTV ou même le NPS. Certaines Lead Measures existent (temps pour clore un ticket, nombre de tickets traités, CSAT individuel, etc.) mais ne sont pas suffisantes si l’on veut avoir un impact à long terme.
Il faut prendre le temps de se poser les bonnes questions pour identifier les root causes. Certains membres de mon équipe ont maudit ma passion pour la méthodologie des « 5 pourquoi », que j’avais découverte lors de mes débuts dans l’industrie. Elle est très simple : quel que soit le sujet, il faut demander (maximum) 5 fois « pourquoi » avant d’identifier la root cause.
Par exemple :
- Churn (pourquoi 1 ?) 👇
- Client Mécontent (pourquoi 2 ?) 👇
- Valeur Perçue faible (pourquoi 3 ?) 👇
- Manque d’information sur mes performances en tant que client (pourquoi 4 ?) 👇
- Absence de tableaux de bord dans l’application ((pourquoi 5 ?) 👇
- Besoin non identifié.
Le quanti semble plus simple à traquer, pourquoi cette approche ?
Effectivement, l’approche traditionnelle fait la part belle aux objectifs de résultats, ce qui s’explique facilement. Ils sont plus simples à calculer, à mesurer et sont a priori dénués de (presque) toute subjectivité. Toutefois, la réussite du CSM dépend de nombreux facteurs, échappant souvent à son contrôle. Je trouve donc que les seuls « résultats » ne donnent pas une image totalement fidèle de la qualité du travail du CSM. Dans certains cas, ils peuvent même être complètement à l’opposé de la réalité du terrain, ce qui peut parfois générer un sentiment d’injustice au sein de l’équipe.
Lorsque tu parles d'un "sentiment d'injustice", à quoi fais-tu allusion ? Au facteur aléatoire ?
Tout à fait. Sauf à avoir un portefeuille avec un très grand nombre de petits comptes, 2-3 « événements exceptionnels » modifient complètement les résultats d’un CSM. Je donnerais l’exemple de 2 CSMs, avec des portefeuilles de valeurs équivalentes.
Le premier était expérimenté et globalement irréprochable, tandis que le second était junior, suivait moins bien son portefeuille et avait même eu des conflits avec certains clients. Le premier n’a pas atteint ses objectifs, le second les a dépassés.
La principale différence entre les 2 ? Le premier était doublement exposé au Brexit et au commerce traditionnel en décroissance alors que le second profitait de sa double exposition à la Scandinavie (investissements forts pour croître en Europe) et aux produits premium. Je précise que cet exemple date de 2019, annulant ainsi l’effet Covid.
Conséquence : le premier n’a quasiment pas touché de variable alors que le second a eu plus de 100%. J’ai pu heureusement revaloriser le salaire du premier, mais il a été très difficile d’expliquer au second pourquoi il n’avait pas droit à une augmentation de salaire malgré ses "performances".
Quels sont les critères qualitatifs que tu recommandes de prendre en compte dans le calcul du variable ?
Il existe de très nombreux critères pour évaluer la qualité d’un CSM. Certains sont relativement facile à utiliser (nombre de tickets résolus, temps de résolution) mais je trouve qu’ils cantonnent le CSM à un rôle « réactif ». Je suggère donc de rajouter des indicateurs tels que le pourcentage de comptes contactés par mois, le nombre de prises de contact par client et évidemment la qualité de la relation (CSAT par exemple). D’autres indicateurs, tels que le nombre d’articles écrits par le CSM pour le Help-Center, le nombre de webinaires organisés ou modérés, le nombre de formations données en interne, etc. permettent aussi d’évaluer la performance globale du CSM.
Début 2020, j’ai donc donné 3 objectifs à mon équipe pour tester la faisabilité d’une telle approche :
- Demander à nos clients régulièrement leur principale satisfaction / déception
- Contacter tous les clients qui résilient pour comprendre leur décision
- Devenir l’expert officiel d’un sujet pour toute l’équipe
Après quelques mois, nous avons pu (1) identifier que 80% du churn ne dépendait pas de l’équipe CSM et (2) faire remonter les pain points au management, appuyés par des verbatim de conversation client, ce qui nous a aidé pour définir la roadmap produit.
Comment est-ce que tu monitores ces indicateurs qualitatifs ?
C’est effectivement la principale limite de l’exercice. Est-ce qu’un client mécontent du produit mettra une bonne note au CSM qui a tout fait pour l’aider ? Est-ce qu’un CSM ne sera pas tenté de faire du copier-coller d’emails pour gonfler ses stats ? A l’opposé, un CSM qui tient ses comptes au cordeau et n’a besoin que d’envoyer un email de temps en temps, mais qui fera la différence ne sera pas pénalisé ? La réponse est oui, sans hésitation. Le modèle n’est pas parfait, même si le fait d’avoir un panier d’indicateurs permet de limiter le risque.
Est-ce que tous les items doivent être mesurables, ou le qualitatif peut rester à l'appréciation du manager ?
L’objectif principal est d’avoir une évaluation factuelle, neutre et pertinente. Les indicateurs sont donc un outil indispensable, surtout avec l’explosion du télétravail, qui réduit le lien entre le manager et son équipe. Le rôle du manager est crucial pour aider son équipe à atteindre les objectifs. Au final, le manager est le CSM de son équipe, le quantitatif est là pour l’aider mais c’est la touche humaine qui fera la différence !
Vois-tu d'autres vertus au critères quali ?
J’en vois deux principales. La première est de redonner du poids à la relation « humaine » avec son client par rapport à une approche de plus en plus quantitative - automatisée - scalable de notre métier. La deuxième est RH. Elle permet au CSM d’élargir sa palette d’activités, de varier son quotidien sans se dire « ah non, ça n’a pas d’impact direct sur ma rétention, je ne fais pas » et de prendre du recul sur son activité.
C’est particulièrement le cas pour la partie « Devenir l’expert officiel », qui en plus de varier les plaisirs, offre de la visibilité au CSM et lui permet d’approfondir ses relations avec d’autres départements/collègues. Juste avant mon départ, une personne de mon équipe m’a avoué considérer un transfert dans l’équipe avec laquelle elle travaillait dans son rôle d’expert !
Quel est le ratio que tu préconises entre quanti et quali ? Est-ce qu'il y a des différences selon les types de profil ?
Tout à fait, l’objectif doit s’adapter au profil. J’avais mis en place un ratio 75% Lead / 25% Lag pour les CSM et le contraire (75% Lag / 25% Lead) pour les AM. Le rationnel est qu’un AM se rapproche d’un Sales et doit donc être au contact permanent de ses leads s’il veut conclure. De plus, cela a été aussi un vrai atout pour recruter d’anciens commerciaux « purs et durs » pour les postes d’AM, en les rassurant sur la possibilité de recevoir un beau bonus en cas de surperformance commerciale.
Quel est le % que doit représenter la partie variable selon toi en Customer Success ?
Une répartition 50% d’objectifs individuels, 30% d’objectifs d’équipe/département et 20% d’objectifs d’entreprise me paraît pertinente pour une équipe CSM.
Quant aux managers, s’ils ne sont pas responsables d’un portefeuille clients, il est très difficile d’identifier une performance individuelle. Je pense qu’une répartition 50% objectif individuels, 20% objectif de département et 30% d’objectif d’entreprise est un bon moyen de s’assurer de leur implication à tous les niveaux (coaching de l’équipe, collaboration avec les autres départements, lobbying auprès du management pour prioriser les bons sujets).
Quant au poids du variable dans la rémunération globale, je fais la différence entre CSM et AM. Pour un CSM, je recommande 15-20% de part variable, contre 20-25% pour un Account Manager.
Pour aller plus loin :
- Comment faire collaborer efficacement Sales et Customer Success ?
- CSM : comment avoir accès au bon niveau d'interlocuteur ?
- Comment structurer son équipe Customer Success ?
- Quelques clés pour booster sa Rétention Nette